Ai-je dit que j’adorais Madrid? non. En fait, pas. On peut peut-être le déduire, mais je ne l’ai pas dit. Alors il faut le dire.

La semaine dernière, j’ai marché dans les rues de Madrid, il faisait un temps merveilleux, un temps qui aide, assurément, à se sentir en harmonie avec le monde extérieur, et j’ai tout d’un coup senti que j’étais à Madrid, comme parfois je sens, avec ravissement, que je suis à Paris. Sauf que je connais bien Paris, et que je m’y retrouve avec une familiarité très agréable, n’importe quand, dès que je pose un pied sur une marche du métro. Il m’est déjà arrivé de pleurer dans le bus en passant devant la Sorbonne. Madrid n’était dernièrement qu’un assemblage plutôt agréable de maisons, immeubles, boutiques assez disparates, sans réelle cohésion, sans une personnalité perceptible pour moi. Mais la semaine dernière, Madrid est devenue quelqu’un. Il faut dire que le printemps aide considérablement, ces bouffée d’air tièdes, parfumées…

Depuis, le charme opère toujours, et avec une force croissante. Pourquoi Madrid me fait-elle autant d’effet?

A cause de ses rues larges, ensoleillée, calmes malgré l’animation. Il s’agit d’un plaisir quotidien. Peut-être d’autres villes (Paris, par exemple, ou Londres) sont-elles plus spectaculaires à visiter. Mais je ne suis pas sûre qu’elles soient agréables à vivre ; pour Paris, déshabituée comme je le suis, je crois que je souffrirais d’y revenir. Madrid est un plaisir quotidien, parce qu’il y a des arbres partout, des avenues larges, une lumière constante, le soleil, le Retiro, des petits marchés avec de la charcuterie, des bars à tapas, les gens sont cools, marchent doucement, sourient … Comment expliquer?

Paris, que j’adore, me semble toute serrée et noire de monde, voiture, bruit, klaxons, troupeaux de gens, partout. Paris est verticale partout, même si, bien sûr, on ne peut que céder, selon moi, aux charmes de ses différents quartiers, dans lequel l’histoire, la littérature, l’art ne sont jamais loin. Mais Paris a quelque chose d’invivable. Alors que Madrid s’étale, tranquillement, dans une quiétude un peu indifférente. Par ailleurs, il y a une grosses pression sur Paris. Paris, c’est Paris. Paris est-elle toujours à la hauteur de Paris? On ne sait pas… c’est d’ailleurs le problème de la France entière. On essaie de survivre à une histoire plus grande que nous.

Madrid s’en fout, en tout cas c’est mon impression. Madrid est une capitale pleine de vie, d’activité, plus agréable à vivre que Londres ou Paris, selon moi (et, je le répète, je trouve mille charmes à Londres et à Paris), mais Madrid s’en moque. C’est un peu le truc des Espagnols aussi, dirait-on. Peu leur importe qu’ils aient le plus beau pays du monde, contrairement aux France et à Paris, qui, comme une coquette, se regarde constamment dans les yeux des autres pour voir si ça va, on a toujours le même impact sur le monde, on a toujours notre “culture française”, et puis si le monde ne s’y intéresse pas, la France, Paris et les Parisiens tournent résolument le dos au monde : s’ils ne sont pas tous renversés par la supériorité de la France, ils ont tort. Hop, on ne leur parle plus. Nananère. Ou alors, on se poignarde soi même avec désespoir : France, où es-tu? Aaaaaaaah, la France n’est plus la France, etc. Bref, tout ça c’est du nombrilisme égocentrique. Ou de l’égocentrisme nombriliste. Tant mieux d’ailleurs. Si la France ne fait pas sa princesse, il manque quelque chose.

Mais ici, c’est différent. Madrid campe sur sa tranquille perception d’elle-même, un peu comme un chat qui se moquerait totalement de savoir qu’on le prend pour un parasite paresseux, du moment que lui, il est bien content de dormir. Les bars à tapas ne désemplissent pas, des musées merveilleux s’ouvrent à tous les coins de rues, on ne peut pas faire un pas hors de la ville sans tomber sur des paysages superbes. Il faudrait alerter la terre entière et leur dire : la ville la plus extraordinaire, la plus agréable, la plus folle, la plus vivante, la plus vraie, c ‘est Madrid !!! Arrêtez, venez tous ! mais non. Les Espagnols ne le disent pas, ils le savent. Ils ne vont pas le répéter. A la limite, la seule chose qu’ils aient peut-être dans le collimateur, c’est Barcelone. Peut-être que chacun à la sienne, de ville, comme le club de foot, en plus, bien sûr, de son pueblo à soi. Je ne sais pas, je ne me rends pas encore bien compte.

Personne n’a l’air de s’émouvoir de ce que Madrid soit si merveilleuse, sauf moi finalement. Alors, peut-être que tout le monde le sait, et je débarque après la bataille? Ou tout le monde s’en fout?