Les rencontres de l’escarpin: Flannie et le génie de la chaussure, épisode 2
Par Flannie • 19 avr, 2009 • Catégorie: A la une, Art et Culture, les rencontres de l'escarpin •
« Allo ? Monsieur…
Mon interlocuteur est direct :
Flannie ?
Oui, c’est cela.
Bonjour Flannie, vous allez bien ? »
La voix est franche, avenante. Cerise sur le gâteau : le monsieur a retenu mon nom. Tout de suite, j’ai envie de poser mille et une questions mais j’essaie de me tenir correctement, horrible pipelette que je suis. J’ai un problème absolument pas résolu depuis l’enfance : je ne sais pas contenir mon enthousiasme. Mon enthousiasme est « over-débordant », ce qui gêne parfois les gens qui ne me connaissent pas et épuise ceux qui voudraient bien me faire taire depuis ma naissance. Ma grand-mère a essayé de pallier ce problème en me gavant de tarte au sucre pour m’étouffer mais… passons, c’est une autre histoire. Je parle trop.
A l’autre bout du fil, l’homme est direct et j’aime beaucoup cela. Pas de foin, pas de chichi. A l’inverse de mon prof d’art préféré, je comprends tout ce qu’il me dit. Je commence même à me dire qu’on peut être un génie et un être humain. Oui mais…attendez, cela signifie donc que le génie est aussi mortel. Quelle horrible idée ! Je la zappe immédiatement et me concentre sur mon sujet, à savoir les magnifiques créations qui peuplent les pages de son livre. J’ai une chance dingue : aucun employé de ma librairie ne m’a dénoncée auprès de lui mais il me demande quand même si j’ai son livre. Euh… non. Pourquoi mentir ? Cela le fait rire : il me dit qu’il faut quand même que je l’achète un jour. Et il a raison. On ne peut pas décemment laisser ses traces de doigts rêveurs sur des livres qu’on n’achète pas. Ce serait comme caresser un chien tous les matins à la SPA mais ne jamais l’adopter. D’une tristesse !
Tandis qu’il me parle, je note aussi vite que je peux toutes les informations sur mon cahier (mon Moleskine ligné à couverture souple, of course !) en regrettant de n’avoir jamais écouté ma maman qui me disait de prendre des cours de sténo. Je m’arrête soudain pour regarder le nom que j’ai noté en haut de la page : Michel Baryshnikov. Du grand n’importe quoi. J’ai dû, l’espace d’une seconde, livrer à mon cahier un de mes grands fantasmes d’ado tout en me trompant de nom. Est-ce parce que les deux hommes sont d’origine russe ? Est-ce parce que la mère de l’artiste était aussi une danseuse classique ?
Toujours est-il que l’homme à l’autre bout du fil s’appelle Michel Tcherevkoff. Il parle excellemment bien français - normal pour un homme qui est né en France et a fait ses études de droit à Paris - mais il pimente de ci de là son discours de mots anglais, ce qui est aussi normal pour un homme qui vit à New-York depuis près de quarante ans car en 1970, Michel Tcherevkoff a pris un aller simple pour New-York où il a rejoint sa sœur mannequin et son petit ami, photographe français. Le jeune Michel, très impressionné par les mannequins paradant du matin au soir dans le studio, décida de rester et de devenir à son tour photographe. Cela me semblait très simple, dit-il aujourd’hui avec amusement mais il rajoute aussitôt : « quelques mois plus tard, j’ai trouvé un travail d’assistant auprès d’un grand photographe et il m’a ouvert les yeux sur la réalité du métier : le succès ne vient qu’en travaillant dur. » Michel a alors laissé de côté les mannequins pour un temps et s’est mis à travailler d’arrache pieds comme assistant pendant 4 ans pour différents photographes célèbres avant de finalement rencontrer un important agent qui remarqua son talent et vit en lui « the right attitude to succeed ». L’année suivante, il récolta ses premiers prix - il était lancé - et depuis, c’est un merveilleux voyage qui continue, ajoute-t-il.
Je lui demande s’il s’intéressait à la photographie et à l’art avant New-York.
« Même si je n’ai jamais pris une seule photo avant d’atterrir à New-York ni même fait des études d’art, mes parents étaient tous deux des gens de goût, très cultivés, qui m’ont fait faire le tour de tous les musées de Paris, que j’aime ou pas. J’ai toujours été entouré par l’art.» Il continue : « Je me souviens avoir eu une merveilleuse enfance, pleine de rires, d’amour et de beauté. Comme disent si bien les Anglais, je suis né avec une petite cuillère en argent dans la bouche sauf que mon père, lui, avait un martinet à la main-une main d’acier dans un gant de velours. Voici pour mon éducation artistique. »
Mondialement connu pour ses publicités décalées (ses « métaphores visuelles » comme l’écrit si bien Bija Guttof dans un très intéressant article pour Apple) pour des grands noms comme L’Oréal, Maybelline, Valentino, Estée Lauder (et j’en passe), il aime avant tout recréer sa propre réalité emprunte d’une irrésistible fantaisie. C’est ainsi qu’un jour il remarque que la feuille de bananier qu’il vient d’utiliser pour une publicité ressemble à une chaussure. Dès lors, lui vient l’idée de créer des chaussures à partir de fleurs (une seule espèce de fleurs par chaussure), de les photographier avant de les retravailler sous Photoshop pour ensuite en faire l’un des plus beaux livres dont j’ai eu la chance de tourner les pages: SHOE-FLEUR ou BOUQUETS DE SOULIERS en français. Personnellement, je préfère le premier titre pour le jeu de mots mais aussi parce qu’il représente bien l’homme, français-américain, aux créations parfois un peu « tongue-in-cheek » tout en étant féeriques mais sophistiquées, très vivantes voire vibrantes quand on tourne les pages. On aurait presque peur, d’ailleurs, de faire tomber quelques pétales en refermant trop brusquement le livre.
(à jeudi pour parler de la conception du livre plus en détail, les amis !)
Flannie : Fan de Shirley Bassey et de James Bond , grande amatrice de Carling Premier passée à la verveine bio, Flannie devient journaliste et super-héroïne vers l’âge de 8 ans. Refusant de s’enfermer dans un carcan professionnel, elle apprend à parler aux animaux et entame une brève carrière de rock-star en même temps. Rien ne fait peur à cette amazone touche-à-tout qui vit à cent à l’heure… jusqu’au jour où la vie la rattrape quelque part entre Londres et Birmingham et qu’elle se rend compte qu’à défaut d’être une grande aventurière, elle n’est pas mauvaise conteuse. Dès lors, elle n’a plus qu’un rêve : écrire et vivre d’écrire.
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C’est magnifique !! Je ne connaissais pas du tout..
Le bouquin mérite effectivement qu’on lui fasse de la pub..
Merci pour cette découverte
J’en parlerai encore plus demain ou mardi si ça t’intéresse. Surtout que l’artiste est en train de travailler sur deux autres projets similaires. J’ai vu des photos: c’est grandiose !!!
PS: Tu as reçu mon mail, Manu ?
Wahou tout en poésie printannière, j’aime beaucoup ! Il fait des posters aussi ? Je verrais bien un agrandissement chez moi !
Oui, je crois que en allant sur le site de Michel Tcherevkoff tu peux commander des prints.
Je monterai plus d’images dans la prochaine note. Tu verras, son travail est incroyable !
Il est vrai que j’ai été scotchée par ces images complètement irréelles et magnifiques ! il a l’air tout à fait charmant en plus…
Donc tu l’as appelé aux états unis pour l’interviewer pour l’Escarpin ? Le titre de son livre colle complètement à la thématique du blog, quelle élégance ! Et quel courage de ta part ! (je suis allée jeter un coup d’oeil sur l’article en anglais, je n’ai malheureusement pas tout compris mais j’ai intuité que le fait de photographier des choses qui existent ne l’avait jamais enthousiasmé et qu’il avait donc créé ses propres sujets dont ceux-ci).
J’aime aussi beaucoup le titre “shoe-fleur”, c’est un jeu de mot comme je les aime, fin, subtil et de bon goût
La prochaine fois que j’irai “à la ville”, je regarderai si je trouve ce livre.
Oui, pour la traduction, tu as bien saisi le sens.
Je m’en vais re-re-re-re-regarder le livre cet après-midi pour préparer ma note de jeudi sur sa conception. C’est vrai que ses créations font rêver !!!! C’est d’ailleurs pour cela que j’ai voulu l’appeler. J’aurais peut-être regardé à deux fois avant d’appeler quelqu’un dont les créations m’enthousiasmaient moins. En plus, comme tu le dis, il est très sympathique ce monsieur (et il est en train de préparer deux autres livres mais chut…….. pour l’instant. Je t’en dirai plus jeudi
)
Dis donc, c’est superbe, c’est magnifique !!! Merci de cette découverte !!!
Attends, l’artiste travaille encore sur des projets similaires. On n’a pas fini de rêver !
[...] Retrouvez les épisodes 1 et 2 ici et ici [...]
Sublissime. Juste je voudrais signaler que le lien vers son site ne marche pas. Dommage. Sinon, on peut feuilleter le bouquin à l’adresse suivante
http://welcomebooks.com/alookinside/shoefleur/
Merci Flannie de m’avoir fait découvrir ce gran poète des temps modernes !
T’es sûre ? J’ai collé le lien sur le nom de Michel Tcherevkoff et sur la photo. Chez moi, ça marche. Tiens moi au courant.
J’ai hâte de voir les nouveaux projets sur lesquels il travaille…
Sorry, ça marche en effet, ça doit être mon routeur qui déconne
Ah, d’accord