Si comme moi vous pensiez tout ignorer de Coco Chanel, sachez qu’il n’en est rien : on la croise dans des romans : chez Proust, chez Vicki Baum, chez Truman Capote. Mais dans la plupart des cas, les ombres de Coco Chanel sont des victimes: car on ne peut vivre comme elle : seule, libre, indépendante, au devant de son époque. Mais Gabrielle Chanel l’a fait – et nous ne pouvons qu’en être admiratifs.

Pour vivre comme elle, il ne faut rien avoir derrière soi : dévorée de l’intérieur par un néant qui lui a fait attirer, pour le remplir, tout ce qu’il pouvait y avoir de plus beau, de plus brillant, de plus merveilleux. Pas de famille, pas de passé, pas de mariage. La liberté absolue. Et la solitude. Mais la beauté et le mythe.

Les débuts de Coco Chanel

Gabrielle Chanel n’est pas issue de la bourgeoisie dorée, d’où la beauté miraculeuse de son parcours.

Qui est-elle? Une petite fille née dans une famille de marchands forains cévenols. Sa mère est couturière. Epuisée, sa mère meurt à 33 ans. Gabrielle a 14 ans.

Son père part pour faire fortune aux Amériques…

Elle se retrouve seule avec ses deux soeurs, Julia et Antoinette, dans un orphelinat, en Corrèze.

Elle est toujours restée secrète sur son enfance, mais pour l’évoquer, je pense à toutes sortes de romans. D’abord, Proust (je n’en parle jamais, mais je suis une inconditionnelle de Proust). Il n’a jamais parlé d’elle, mais je dirais que dans le monde qu’il décrit, par défaut, on peut assez bien imaginer la place d’une petite couturière. Il y en a une dans le roman, d’ailleurs, la nièce de Jupien, qui n’est rien d’autre que la nièce de Jupien, instrumentalisée par la plupart de ceux qui tournent autour d’elle. La vie et le destin d’une orpheline de milieu populaire en France à la fin du XIXème siècle sont réglé d’avance.

Alors, de quelle façon Coco va-t-elle kidnapper son destin?

La petite orpheline de l’orphelinat de Corèze passe, à 18 ans, chez les chanoinesse de Moulins. Elles lui donnent un métier, ce qui est le mieux qu’elles puissent faire. Que lui apprennent-elles ? Qu’apprend-on aux jeunes filles pauvres à cette époque? La couture… Et à rester à sa place, et ne rien attendre de trop. On n’est pas vraiment dans une logique de dépassement de soi-même, ni d’accomplissement. Pensons à elle : enrage-t-elle? Rêve-t-elle?

A 20 ans, au sortir de chez les Chanoinesses elle est placée dans une maison de couture à Moulins. Spécialisée en trousseaux et layettes… Tout un programme.

Dans le coeur de la petite couturière, que trouve-t-on? Eh bien, regardons dans le nôtre. De quoi peut-on avoir envie quand on est jeune, jolie et qu’ona 20 ans? S’amuser, sortir, vivre avec légèreté…

Elle va dans un caf’ conc’ de Vichy, le Beuglant de la Rotonde, fréquenté par des militaires : l’austérité de la broderie de jour, mais le soir : fête et rires… Eh bien, il y a là déjà toute sa vie, moins l’élément qui nous fait tous rêver : le luxe, et les stars. Mais ça va venir. A 24 ans, elle est engagée comme chanteuse - entre austérité et fête, elle a choisi. Elle chante : Qui qu’a vu Coco sur le trocadéro ? (paroles de Baumaine et Blondelet, musique de Deransart). Le surnom ne la quittera plus.

Quand on est pauvre, que sa mère est morte, que son père est parti, que l’on est rien, que l’on a rien, comment ne pas rêver de succès, une sorte de faux amour pas désagréable, enivrant, léger comme des bulles et pas plus consistant?

Et Coco, qui a échappé au destin de petite couturière, va suivre comme un processus méthodique pour sortir - et de quelle façon magistrale - du destin de chanteuse, qui mène surtout à celui de femme entretenue. Comment va-t-elle faire?

(A suivre).