Le testament de l’homme seul
Par Charleschester • 21 nov, 2008 • Catégorie: A la une, LES CHRONIQUES DE CHARLES CHESTER, Société •Il m’aura surtout manqué l’amitié d’un homme assez perspicace et sincère pour me soulager du soin quotidien que je prends à m’accuser moi-même. N’existe-t-il pas un homme assez fort pour me demander ce que j’attends et qu’une mort annoncée ne puisse me donner tout de suite ? J’entends un homme ouvertement ravi, multiplier les dénégations sans contenu, ou bien je le vois secouer de la tête, se refuser à la complaisance, seulement donner à sentir ce qu’il ressent lui-même. Ou bien encore je sens sa main charitable, purger mes sensations, mais ne ressens pas sa pitié.
Pour durer, l’amitié doit être paisible et respectueuse, égale et loyale. Elle doit supposer le désintéressement total, au risque de passer pour une simple complicité d’intérêt. L’amitié donne les avantages de l’amour sans les inconvénients de la passion. Elle est un refuge contre le malheur et la solitude. « Elle vaut mieux que la justice et l’inclut » souligne A. Comte-Sponville. « Elle est à la fois sa plus haute expression et son dépassement. Elle n’est ni manque, ni fusion, mais communauté, partage, fidélité. » La supériorité de l’amitié sur l’amour purement charnel, est que celui-ci nous est souvent imposé, comme le coup de foudre, ou la pulsion, alors qu’entre amis on se choisit. En ce sens, l’amitié est une vertu, ce que l’amour charnel n’est pas. Mais c’est une petite vertu. Elle a ses limites. Elle ne peut pas être exempte d’égoïsme et de jalousie. On n’a le plus souvent qu’un(e) ami(e), ou peu d’amis.
Le regard dans l’autre
Montaigne disait : « il faut se prêter à autrui et ne se donner qu’à soi-même » A travers nos amis, nous nous aimons nous-mêmes. Reflet ou narcissisme ? Nous les aimons parce qu’eux nous aiment. L’amitié est une vertu qui demeure ambiguë et dont Montaigne a bien exprimé l’impondérable, à propos de son amitié avec La Boétie : « Pourquoi je l’aimais ? Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
Quel bonheur qu’est celui de vérifier ses sentiments, d’éclaircir ses difficultés par l’expérience des autres ; de s’entendre en profondeur par d’autres manières que celles de la parole, de se transformer par des réflexions de flamme et de lumière. J’étais né pour l’amitié, mais le but que je vise est si haut et si pur que l’atteinte ne pouvait qu’être furtive.
L’amitié n’est complète que lorsqu’elle est non seulement une ressemblance que l’on cultive, une confiance que l’on pratique, mais un effort commun et réciproque pour s’élever, pour se purifier, pour se surmonter. Alors, l’amitié sent non seulement sa douceur mais aussi sa force, ce qui est nécessaire pour qu’elle atteigne sa plénitude. À cette hauteur, à cette profondeur, l’amitié ne craint aucune atteinte ; ni l’éloignement, ni le temps, ne peuvent l’altérer. L’amour du moi, l’égoïsme, font obstacle entre nos amis et nous. Il faut se perdre un peu pour se retrouver chez un autre. C’est alors seulement que l’on trouve en l’ami un trésor.
Les faux amis
Je dois dire que je suis assez méfiant quant à l’amitié. Ou bien elle est superficielle et intéressée ; ce n’est pas alors une véritable amitié, mais plutôt un système de relations, mondaines ou autres, un moyen de promotion pour les ambitieux, de sécurité pour les pauvres. Ou bien elle est sincère, mais alors elle tend souvent vers un accaparement. Comme pour l’amour, seule une amitié désintéressée est vertueuse et durable.
Loin des yeux…
La première qualité d’un ami, avec la fidélité, c’est sans doute la discrétion. Garder une certaine distance, ne pas s’imposer, espacer les rencontres pour ne pas lasser. Il en est des amis comme de la famille. Un trésor parfois inaccessible, puisque le seul fait de prétendre le posséder, l’accaparer, le ferait perdre. Il faut avoir confiance en ce que l’on a, sans dire que nous l’avons. Il faut de l’absence pour se connaître et pour s’aimer vraiment. Ne dit-on pas : « ce qui passe et revient est plus tendre à revoir. » ?
Arroser les plantes…
Que faire, lorsque l’on voit s’estomper chez l’autre, l’amitié, l’attrait, le cœur s’accoutume ou bien se lasse ?
Il faut cultiver en soi ses amitiés, les arroser comme des plantes en quelque sorte, de peur qu’elles ne se dessèchent et ne se fanent. Il faut apprendre à partager la solitude du cœur. Si la sympathie naturelle diminue, on se doit de demeurer fidèle à l’amitié, que l’on a donnée, sans s’élever dans l’ordre de la pitié.
Après la mort
Après la mort, devant le vide et l’absence on se reproche jusqu’aux moindres omissions de l’amitié. On a vécu tout près et l’on ne s’est ni pénétré ni connu. À peine les esprits se sont-ils effleurés. Les sentiments se sont masqués d’indifférence ou de lassitude. La vie cruelle, si pleine et si vide, a jeté la poussière de sa banalité.
La mort laisse le souvenir, l’esprit du disparu dont le survivant peut s’entretenir et se fortifier comme d’une source spirituelle qui jamais ne se tarit. Les vivants peuvent nous enlever leur amitié, les morts nous la laissent, inaltérable et inépuisable, si nous le voulons, pour l’éternel. L’amitié pure devient source de vertu, de sagesse. Élever l’amitié au degré de vertu, c’est s’oublier soi-même, être capable d’aimer l’autre et de se taire. Et si notre ami souffre, de le soutenir avec discrétion et tendresse. Mais cela, c’est plus qu’une amitié ordinaire. C’est déjà de la charité d’âme de dépassement, de l’amour.
La limite était infime, je me retenais de l’aimer pleinement de peur de verser dans l’amour, je faisais taire les clameurs de mon coeur. J’ai manqué de discernement, j’ai confondu les vertus, je fais le triste constat de l’homme solitaire qui se suffit à lui-même. On ne viendra pas sonner à ma porte.
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