Le théorème de l'escarpin

Les carnets de l'escarpin, Flannie, son bourrelet, ses doigts de pieds, sa miette, ses pommes… et sa grosse, grosse envie d'été…

Le petit Lorenzo illustré…


   déc 03

Le petit Lorenzo illustré…

« Ils marchèrent toute la nuit et toute la journée du lendemain, depuis le matin jusqu’au soir, sans réussir à sortir de la forêt. » Impossible, en effet de sortir de la forêt de ce conte cruel qu’est « Hansel et Gretel » tant l’imagination de Lorenzo Mattoti nous plonge dans l’angoisse et l’obscurité. Pourtant, au départ, quand nous avons ouvert le livre, nous nous sommes sentis quelque peu déroutés.

Il y a peu, j’ai essayé sans succès de vous décrire mes diverses impressions quant aux illustrations modernes des livres pour enfants. Je n’ai pas réussi car je me sens toujours inutile quant il s’agit de décrire mes émotions face à une oeuvre d’art. Pourtant, j’ai des réactions et des émotions comme tout un chacun face à un dessin, un air de musique, une sculpture mais j’ai l’impression que mes émotions ne sont que bassement basiques, voire purement animales… je n’aime pas la plupart des illustrations modernes. Voilà, c’est dit. Elevée aux princes charmants bien proprinets de Jeanne Lagarde et aux princesses hollywoodiennes à la Disney, je trouve peu de plaisir à me plonger dans une histoire en prenant pour base les dessins modernes qui illustrent mes bons vieux contes de gosse. J’ai besoin de voir des traits clairement dessinés, classiques, des décors féériques. Je n’ai pas besoin de « sentir » la patte artistique du dessinateur pour apprécier un dessin illustrant le moment où la belle au bois dormant se pique le doigt sur un écheveau. Au contraire, je dirais que je préfère que l’illustrateur s’éclipse au profit d’un dessin classique. Vous comprenez ce que je veux dire ?

Ceci étant dit, je vous présente maintenant un livre et un illustrateur qui m’ont déroutée au point de revoir ma vision de l’illustration. Les photos ne lui rendent pas hommage mais j’ai du mal à mettre le noir en valeur avec mon éclairage habituel. Il s’agit d’un des plus beaux contes de Grimm, Hansel et Gretel, illustré par Lorenzo Mattoti, un illustrateur de renom travaillant tout autant pour Le Monde que Vanity fair et qui expose actuellement ses oeuvres à la Galerie Martel à Paris.

C’est d’abord en bande dessinée que Lorenzo Mattoti acquiert une renommée internationale. De Feux au Bruit du givre, ses livres sont traduits dans le monde entier. En jeunesse, il illustre Eugenio de Marianne Cockenpot, récompensé en 1993 par le Grand Prix de Bratislava. Ses images servent un certain nombre de revues graphiques mais aussi The New Yorker, Le Monde et le Suddeutsche Zeitung. En 1995, le Pallazo delle Esposizioni de Rome et le Frans Hals Museum de Haarlem lui consacrent une rétrospective. Il signe aussi des affiches pour le Festival de Cannes et travaille en 2004 sur le film Eros de Wong Kar-Wai, Soderbergh et Antonioni. Il a également réalisé un épisode du film d’animation Peurs du noir.

Sa vision d’Hansel et Gretel est si impressionnante que Cinqpommes s’est d’abord écrié « C’est tout noir ! Mais j’aiiiime pas ! » puis peu à peu il s’est laissé happé par ce monde sombre et angoissant décrit par les frères Grimm et accentué par les traits vifs, nerveux de l’illustrateur qui se délient ou s’enchevêtre au rythme de l’histoire. Je n’avais encore jamais vu une histoire illustrée de sorte que seules des émotions aussi diverses que l’angoisse, la peur, la fatigue ou le soulagement transpercent au travers de la noirceur des dessins. C’est tout simplement déroutant et… magnifique.

PS: Merci à Lorenzo pour cette très belle dédicace !

You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

24 Comments

  1. sophie dit :

    De prime abord, j’ai pensé aux dessins à l’encre de Victor Hugo. Tourmentés mais tellement forts, tellement poétiques aussi. le trait, sur la seconde photo en est assez proche.
    Il est vrai que le parti pris du noir et blanc pour illustrer un conte pour enfants peut sembler quelque peu surprenant. Mais cinq-pommes a eu la réaction attendue : il a pas aimé parce qu’il a eu peur. Et la peur domine tout le conte. Comment croyez-vous qu’un enfant réagisse face à un récit aussi terrible que celui d’Hansel et Gretel? Perdus dans la forêt, hors de la protection de leurs parents, dans le noir, le froid, le vent, des bruits inquiétants… On aurait la trouille à moins! Et l’apparition de la maison en pain d’épices n’est pas faite pour nous rassurer : il y a un piège, c’est sûr ! Et paf le chien, il y a un piège : la vieille sorcière va bouffer Hansel. Qu’y a-t-il de pire que de revenir à nos coutumes ancestrales, aux pratiques du cannibalisme? Vous n’auriez pas peur, vous, de vous retrouver enfermé dans une cage, engraissés par des anthropophages qui viennent vous tâter le croupion tous les matins pour voir quand vous serez assez gras pour passer enfin à la broche ou à la casserole?
    La capacité d’empathie des enfants est immense, plus importante encore que celle des plus sensibles d’entre nous. Ils SONT Hansel et Gretel : il n’ y a pas d’invention, c’est du vrai, du brut, du cash, du vécu. Du qui pourrait leur arriver. Et en même temps, c’est tellement bon, tellement rassurant de se blottir contre maman ou papa quand on a peur. On se cache au fond de son lit, les couvertures remontées jusque par dessus la tête pour se faire un nid tout chaud tout douillet.
    Les illustrations de Lorenzo Mattoti traduisent tout cela. C’est éblouissant de noirceur. Bravo.

  2. sophie dit :

    Heu : pardon, à la relecture, je crois que j’ai versé dans la pédo-psychologie de supermarché…

  3. Flannie dit :

    ou de comptoir
    (dans le bon sens du terme car je nous imagine bien toutes accoudées au comptoir de l’escarpin à débattre des contes pour enfants).
    Je suis contente que tu apprécies le travail de Mattoti. Au premier abord, ce n’est pas forcément évident… mais quel talent !
    J’apprécie tout particulièrement le fait que les traits se courbent et s’accélèrent au rythme de l’angoisse montante…

  4. MissBrownie dit :

    Ca doit être assez étrange pour les enfants un livre tout en noir

  5. Flannie dit :

    Très surprenant au départ mais finalement, c’est excellent pour développer l’imagination des enfants

  6. sophie dit :

    Le traitement de la lumière est incroyable. Quelle patte ! Quelle pâte !

  7. sophie dit :

    Je vais le commander pour mes neveux, tiens, c’est une super bonne idée !

  8. sophie dit :

    Par curiosité, je suis allée faire un tour sur le site de la galerie Martel. Cela confirme bien mon impression première. Ce garçon est terriblement tourmenté ! Que des images de cauchemar, de mort, de blessures. Dans un oiseau, seul, le trait est fort, violent. Aucune paix, aucune sérénité dans ses dessins. Exorcisme? pour lui, certainement ! Je suis aussi dérangée par ses dessins pour « grands » que cinq pommes a dû l’être par les illustrations du conte. Cela fait appel à une peur totalement « tripesque », à un malaise que nous avons en chacun de nous. Sers moi un triple scotch Flannie, que je me remette de cette visite.

  9. sophie dit :

    Pstt tu as oublié l’eau à bulles et le glaçon.

  10. Flannie dit :

    Thé vert, gingembre, guarana, ça te va ?

  11. sophie dit :

    non, non, triple scotch ou fine champagne, du fort, pour aller avec le choc. Je veux dire que c’est la première fois que je ressens un tel malaise en face d’une oeuvre d’art et que malgré tout je ne la rejette pas complètement, parce qu’elle fait partie de moi. Le cri de Munch, par exemple, je ne peux pas, c’est trop, c’est laid, en plus. Alors que là, c’est beau, esthétiquement parlant, c’est beau mais c’est terriblement dérangeant. Quand je regarde une de ses oeuvres, j’ai l’impression qu’on appuie sur un bouton dans ma tête et que je revis des cauchemars que j’avais enfouis au tréfonds de moi. Tu comprends? Donc, le guarana machin machin, bon, ok mais pour une autre fois. Quand je rentrerai d’euro D… par exemple !

  12. Flannie dit :

    Alors, j’ai…
    - une bouteille de champagne pour le jour où Sergent et moi aurons dégotté le boulot de nos rêves,
    - un fond de porto,
    - une flasque de Vodka 1er prix que j’ai achetée il y a des siècles pour me concocter un tonique visage (qu’elle dit…)
    - un peu de rhum pour mes gâteaux et mes crêpes,
    - un flacon d’alcool à 70°
    - un fond d’alcool glycériné…
    Je te fais un cocktail ?

    Sans rire, je ressens tout à fait la même chose que toi: on ne peut pas la rejeter parce qu’elle fait partie de nous.

  13. sophie dit :

    Roboratif, le cocktail… Bon, j’arrive avec mon rhum gingembre. Et le rhum fraise Tagada pour le fun.

  14. Flannie dit :

    On en profitera pour faire un tour à la galerie. J’ai très envie de voir ces illustrations « échappées » du livre.

  15. Kahlan dit :

    Ça a l’air magnifique, mais je comprends que les enfants aient un a priori, ça doit leur faire un peu peur, au départ, surtout qu’ils ne sont pas habitués à ce style de dessin.

  16. Flannie dit :

    Cinqpommes a d’abord eu une réaction de rejet total puis s’est intéressé aux traits, a commencé à les suivre du doigt, à repérer les formes, la vitesse… C’est vraiment une oeuvre fascinante !

  17. sophie dit :

    une copine prof d’arts plastiques m’a donné un nom, comme quoi tous les profs sont pas à jeter au sbel : fais une recherche sur henri Cueco, sur le net. C’est…tu verras.

  18. Flannie dit :

    Henri Cueco ? J’y vais…Tu as montré les illustrations de Lorenzo à ton amie ?

  19. sophie dit :

    voui, c’est pour cela qu’elle m’a envoyé le lien sur Cueco, dont elle trouve que l’ouvre présente des similarités avec celles de Mattoti. Bon, je ne vois pas l’air de famille, en tout cas pas là maintenant tout de suite du premier coup d’oeil mais j’aime bien. Et puis c’est moins « malaisant » que Mattoti. Je déjeune avec ma copine, je te dirai ce qu’elle en pense. A propos, Julia fait des bijoux très sympas, il faudrait que je la convainque de nous envoyer des photos.

  20. Flannie dit :

    Ah ben tu vois, moi, je préfère les dessins de Mattoti. Il y a du génie là-dessous Et c’est ce génie qui fait qu’on ne ressent pas qu’un simple malaise face à ses illustrations.

  21. sophie dit :

    ah mais non, j’adore ce que fait Mattoti mais bon, il parle à la part sombre de mon âme, à mes peurs ancestrales, alors que Cueco est moins dérangeant, du moins sur un écran parce que ses toiles sont parait il immenses et que vus grandeur nature ses meutes de chiens sont quelque peu inquiétantes… Je veux bien le croire. En fait, je ne peux pas poser de comparaison entre eux suele Julia a fait le lien mais bon, les méandres de la pensée, hein…

  22. [...] ?” Ben oui, je suis un peu conservatrice sur les bords quand il s’agit de gourmandises. Un peu comme pour les illustrations, d’ailleurs. J’apprécie en général l’effort créatif quand il n’altère pas le gustatif. [...]

  23. Flannie du blog « Le théorème de l’escarpin » parle d’Abanico » Pas un jour sans chocolat dit :

    [...] ?” Ben oui, je suis un peu conservatrice sur les bords quand il s’agit de gourmandises. Un peu comme pour les illustrations, d’ailleurs. J’apprécie en général l’effort créatif quand il n’altère pas le gustatif. Et là, mes [...]

  24. [...] ?” Ben oui, je suis un peu conservatrice sur les bords quand il s’agit de gourmandises. Un peu comme pour les illustrations, d’ailleurs. J’apprécie en général l’effort créatif quand il n’altère pas le gustatif. [...]

Leave a Reply