L’allure de Chanel

Posted in Dernières notes, La mode by L'escarpin on novembre 3rd, 2009

« Ce sont les baisers, les caresses, les professeurs et les vitamines qui tuent les enfants et les préparent à être malheureux ou débiles. Ce sont de vilaines tantes qui en font des conquérants… Et qui développent chez eux des complexes d’infériorité. Moi, cela m’a donné le contraire : des complexes de supériorité. Sous la méchanceté, il y a la force, sous l’orgueil, il y a le goût de la réussite et la passion pour la grandeur. Les enfants qui ont des professeurs apprennent. Moi, j’ai été autodidacte ; j’ai appris mal, au petit bonheur. Et pourtant, quand la vie m’a mise en contact avec ce qu’il y a de plus exquis ou de plus génial dans mon époque, un Stravinsky, un Picasso, je ne me suis sentie ni stupide, ni gênée, pourquoi ?

Parce que j’avais deviné seule ce qui ne s’apprend pas. J’y reviendrai souvent. Je veux, pour le moment, finir sur cet aphorisme important, qui est le secret de mon succès, et peut-être celui de la civilisation ; en face des impitoyables techniques : C’est avec ce qui ne s’apprend pas qu’on réussit. »

Elle me fascine. Elle me perturbe. Elle m’agace. Elle m’épate. J’avoue ne plus savoir que penser de Coco Chanel depuis que je suis plongée dans le très excellent livre de Paul Morand, L’allure de Chanel.

Aimait-elle les femmes, « ces pauvres femmes » qu’elle vêtait mais dont elle était loin de faire l’éloge ? Etait-elle parfois heureuse ? Elle dit n’être arrivée au succès que par le travail, que la chance n’a rien à voir mais n’a-t-elle pas eu la chance de profiter de la fortune de Boy Capel pour se lancer ?

Je la trouve dure, froide, cassante, odieuse et pourtant totalement géniale. Je m’énerve pendant quelques pages pour ensuite la retrouver fragile, touchante, aimable… et toujours si pertinente au fil de ses conversations avec Paul Morand. Peut-être que ce qui me dérange, après tout, c’est qu’elle prononce sans ambages ni enrobage tout ce qu’on ose dire à peine dire tout bas.

A mon avis, elle a trouvé en Karl Lagerfeld son digne descendant

« Je plains les femmes car elles se trompent toujours. Elles rapportent tout à elles. Elles veulent plaire au passant et le passant ne le sait pas. Elles ne savent pas que leurs qualités (surtout si ces qualités sont masculines) font fuir l’homme.

Elles cachent leurs défauts au lieu de les tenir pour un charme de plus. Il faut savoir jouer, ruser avec ses défauts ; si on sait bien s’en servir, on obtient tout. Il faut cacher ses vertus si on en a, mais qu’on sache qu’elles sont là. Les hommes sont presque tous malhonnêtes ; les femmes le sont toutes.

Je n’ai pas d’amitié pour les femmes. Sauf Misia, elles ne m’amusent jamais. Elles sont frivoles, alors que je suis légère, mais frivole jamais. Plus je vieillis, plus je deviens légère. Une femme très bien, ça embête les femmes et ça ennuie les hommes.

Une femme = envie + vanité + besoin de bavarder + confusion d’esprit. Ceci dit, j’adore la coquetterie des femmes. Tant d’hommes, tant de pauvres filles, tant d’industries en vivent ! Il y a bien plus de gens qui vivent du gaspillage des femmes que de gens qui en meurent.

Les femmes choisissent une robe sur la couleur ; si l’essentiel ne leur échappait pas, elles seraient des hommes. Passe encore pour des clientes, mais j’enrage d’ouvrir mes salons à des cruches dont c’est le métier de regarder une collection et qui ne savent pas voir.

Les femmes, quand elles voient une robe nouvelle, perdent la tête. On salirait la robe blanche du modèle… Les femmes copient les hommes, sans se rendre compte que ce qui les embellit, eux, les enlaidit, elles. »

4 Responses to 'L’allure de Chanel'

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  1. sophie said, on novembre 3rd, 2009 at 11:29

    Sur la dernière citation, pardon, mais qu’a-t-elle fait, elle, sinon copier les hommes? On me dira qu’elle s’est approprié, qu’elle a réinventé et on aura raison. Le problème de Coco Chanel, comme de tant de ces gens qui sont arrivés (oui, mais dans quel état, dirait Guitry) c’est qu’ils n’ont aucune humilité. Comme si leur génie devait écraser les autres, comme s’ils se plaçaient d’emblée au-dessus des autres, alors qu’ils s’en servent comme de marche-pied et qu’ils les méprisent.
    Autodidacte, c’est bien là le problème : dans un monde où la femme était à peine reconnue comme être humain, il était scandaleux qu’une femme allât se battre pour apprendre. Autodidacte, c’est bien là le miracle : des Gabrielle Chanel il n’y en a qu’une (et c’est suffisant, deux seraient monstrueuses, une n’est que géniale, Dieu merci). Ce que Chanel ne pouvait pas pointer du doigt, parce que l’idée ne lui en est peut être jamais venue et aussi parce que ce n’était en aucun cas la façon de penser de son époque, c’est qu’elle était peut-être tout simplement DESTINEE à être Coco Chanel. J’entends par là que, niant la chance, niant la part de hasard et posant son succès en regard du travail elle passe, et c’est normal, à côté de la grande leçon que la vie aurait pu lui donner : celle de l’humilité devant un tel destin.
    Quoiqu’il en soit, elle a eu en effet du génie, comme Mozart en a eu, comme Van Gogh en a eu, elle a eu ce “supplément d’âme” et a su l’exploiter. Ce qui n’excuse en rien son arrogance et son mépris des femmes qui trahissent sans doute une immense souffrance intérieure.
    En conclusion, je souhaite que ma Gabrielle à moi ne devienne jamais une femme hors du commun, cela signifiera que mes errances et autres divagations éducatives n’auront rien été face à l’amour que je lui ai donné. Génie? Non, s’il vous plait, normale, mais heureuse. Conne, stupide, frivole, futile, mais dans la joie de vivre malgré les épreuves et les difficultés.

  2. Flannie said, on novembre 4th, 2009 at 18:00

    J’ai refermé le livre hier soir. Je dois te dire que j’ai été fascinée tout au long de ma lecture. Certes, elle m’a paru très dure, très seule mais la dureté est aussi une façade à la souffrance, quoi qu’on en dise.
    Elle aurait peut-être dû naître homme mais dans ce cas elle n’aurais pas été la génialissime Coco Chanel qui a fait avancer son temps

  3. sophie said, on novembre 4th, 2009 at 20:01

    J’avais lu sa biographie écrite par Edmonde Charleroux et j’étais restée rêveuse à la fin du bouquin : impressionnée par la trempe de cette femme mais triste aussi. Triste parce que je suis certaine que cette femme a dû souffrir terriblement pour dégager autant d’aigreur, de méchanceté parfois, sur le ton péremptoire de ceux qui refusent de n’être que ce qu’ils sont, des êtres humains. Cette carapace dont ils s’entourent est en acier inoxydable, elle les fait souffrir autant qu’elle fait souffrir leur entourage. Si le manque d’amour et le manque de compassion envers son prochain doivent présider à la naissance d’un génie, alors, je ne pense pas que le jeu en vaille la chandelle ! Je sais ce qu’elle dirait la grande Chanel de mes propos : que je suis une midinette d’une insupportable mièvrerie ! Certes, mais je préfère ma mièvrerie charitable et sans talent à son génie glacial et sans bonté.
    A tout seigneur, tout honneur, n’est-il pas?

  4. Flannie said, on novembre 5th, 2009 at 17:55

    D’après ce que j’ai lu dans le livre, elle n’était pas sans bonté, tu sais. Mais froide, dure.

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