A propos

Je savais bien que cela arriverait un jour où l’autre. Ne me demandais pas pourquoi. Je le pressentais, c’est tout.

Au début de l’été, mon escarpin a commencé à me faire la gueule. D’abord, ce fut très discret. Je le retrouvais couché de côté certains matins puis il se mit à disparaître sous le lit jusqu’à se cacher dans des endroits carrément improbables, me rendant chèvre à le chercher pendant des heures alors que j’avais mieux à faire.

- Mieux à faire ? s’est-il exclamé un jour alors que je lui mettais le grappin dessus près de la poubelle à verre. Mieux à faire ?

- Ben oui ! Ca t’amuse de me faire courir toute une matinée pour te retrouver ? Tu te caches pour jouer avec mes nerfs, hein ?

- Tu ne comprends rien, ma pauvre. Je ne me cache pas pour me venger de toi. Je me cache pour avoir du temps à moi.

- Du temps à toi ? Là, j’ai cru que j’allais m’étouffer avec mes cerises. Et pourquoi un escarpin aurait-il besoin de temps à lui ?

- Pour écrire, ma chère !

Il m’a dit cela sur un tel ton que je n’ai pas su immédiatement quoi répondre. Certes, la pointe de son talon était quelque peu biseautée et tachée d’encre bleue mais de là à imaginer qu’il écrivait un roman… !

- Non, pas un roman. Un journal. Un carnet de route.

Sachant à quel point j’avais lâchement abandonné mes escarpins pour mes Fit Flops cet été, je ne voyais pas trop quel carnet de route il pouvait tenir. Soudain, il fit pivoter sa semelle et j’aperçus, à moitié coincé sous la poubelle, le petit Moleskine à la couverture bleue marine que j’avais perdu au mois d’avril. Le salopard ! Je sentis la colère monter en moi. Envoyant voler d’un coup de pied bien balancé mon escarpin de l’autre côté de la cuisine, je saisis vivement le cahier et partis m’enfermer dans ma chambre. Toutes les pages étaient griffonnées de pâtes de mouches et de croquis hésitants sur les rencontres qu’il avait faîtes cet été tandis que je le négligeais sur la plage.

- Tu parles de mes théorèmes et de mes rencontres sur ton site mais tu ne me laisses jamais la parole, me fit-il remarquer à travers la porte. Je veux la place qui me revient !

- Tu veux dire que… que… Je cherchais mes mots tant j’étais stupéfaite. Tu veux contribuer au site ?

Il y eut un long silence derrière la porte puis, d’un ton aussi ferme et résolu que pouvait être celui d’un escarpin vexé revendiquant ses droits, il déclara :

- Non. Je m’y sentirais trop à l’étroit. Je veux mes pages à moi.

- Non mais tu n’y penses pas ?

- Et que si j’y pense. J’y pense même tant que j’ai soigneusement noté sous ma semelle le numéro de l’association de protection des chaussures de luxe et…

- Je vais l’effacer !

- Impossible. Je l’ai gravé avec la pointe du stylo plume.

- Tu mens !

- Viens vérifier si tu veux.

J’ouvris la porte rageusement mais déjà la chaussure avait détalé. Dans un coin de la salle de bain, je l’entendis murmurer :

- Tu sais, je pourrais te dénoncer pour usage abusif de mon image… Que diraient tes lecteurs s’il savait que tu écris tous les théorèmes à ma place ?

Argh ! Devant tant de fourberie, j’ai capitulé, mes amis. Vous pouvez dès à présent retrouver les « carnets de l’escarpin », rédigés par l’escarpin lui-même ici. Attendez-vous aussi à y croiser de temps à autres quelques babouches, une Doc Martens et découvrir d’autres surprises dès que les Richelieu de notre Ninon nationale auront un peu de temps pour souffler. Nos chaussures n’ont pas fini de faire parler d’elles, je crois… Et les vôtres ?

Si vous n’avez pas peur des coups de talons, vous pouvez nous contacter à cette adresse: [email protected]