Trois âmes et quelques grammes de chocolat

Nous étions trois ames : mon doigt vient d’oublier le « i » d’amies pour en faire trois âmes. Je ne corrigerai pas la coquille cette fois, nous étions donc trois âmes amies. Deux en colloc, la troisième en cloque. Je débarquais chez elles sur le coup de 15 heures et nous déballions notre matériel. Casserole, petites cuillères, sens en émoi, nous attendions…………….

Pardon ? Qu’allez-vous imaginer là ? Que nous avions pris la détestable habitude de ne shooter chaque après-midi ? Je m’insurgerais bien, pour le principe, mais pour de vrai, vous avez presque raison. Sauf que la poudre qui nous mettait dans cet état de transe était plus noire que l’enfer.

Le rituel café-chocolat, voilà notre drogue, notre douce drogue à nous. Nous avons des mois durant étudié avec la plus grande constance la meilleure manière de faire le café (la Clooney n’existait pas encore, mais je gage que fauchées comme nous étions nous nous serions débrouillées pour nous en procurer une, plébiscitant l’entrée de l’expresso dans les foyers français…). Nous avions décidé que la meilleure, c’était Mélior. De l’eau à peine frémissante sur une mouture pas trop fine. Attendre -oh cette attente !- que le café retombe au fond de la cafetière pour enfin appuyer sur le piston, lentement. Les tasses sont sur la table et n’attendent que nous. On a pensé aux petites cuillères ? Le plus important, l’essentiel, l’essence même de nos après midis se résumaient dans ces petites cuillères dorées à l’or fin. Thénèze avait le goût du luxe et même dans le ruisseau aurait sorti ses tasses de chez Tiffany ou ses assiettes en pur Limoges. Son rêve : un service en cristal de Murano, très grand siècle… Donc, petites cuillères dorées à l’or fin. Café dans les tasses, nous déballions l’objet de tous nos désirs, celui sans lequel le café n’aurait été qu’un breuvage un peu amer et sans grand intérêt : le chocolat.

En tablettes et le plus noir possible. Aurions-nous trouvé du 110% de cacao que nous en eussions été enthousiasmées. Il n’était pas interdit de comparer les différents crus, c’était même le but du jeu et nous nous faisions un devoir d’allier café et chocolat, cherchant, au fil des jours le mariage impossible et sublime de ces deux saveurs. Pour cela, nous prenions un carré de chocolat, le glissions dans la cuillère que nous trempions dans le café. Avant que le chocolat ne soit totalement fondu, nous en dégustions la couche crémeuse, le cœur un peu dur encore qui croquait sous la dent. Nous devenions des princesses aztèques, nous présidions au rituel d’adoration du dieu Quetzalcóatl, nous parant de bijoux barbares et de plumes aux mille couleurs chatoyantes. Le ciel de Bordeaux s’illuminait de ce bleu sublime que l’on ne trouve qu’en altitude. Nous étions éternelles.

Nous étions trois âmes. L’une d’elles est partie déguster le breuvage des dieux en compagnie des anges, armée de ses petites cuillères dorées à l’or fin, n’en doutez pas. La seconde a quitté le navire, pour des rivages qui me sont interdits -où est-elle partie, ma voyageuse infatigable ?
Sur la plage ne demeure qu’une stupide énergumène qui trouve son café bien trop salé de ces larmes qu’elle verse sur ses années enfuies, sur ses âmes perdues.
Peu importe : la mémoire reste fidèle et jamais je ne dégusterai autrement un carré de chocolat noir que trempé dans une tasse de café brûlant.

* ce texte participe au concours chocolaté ABANICO.
"Racontez moi votre rituel chocolaté préféré" en l'envoyant à
[email protected] avant le 31 janvier.

4 Responses - Add Yours+

  1. Poumok dit :

    C’est beau et triste à la fois, sentiments subtilement mêlés, j’aime beaucoup ! ça me fait penser à cette citation :

    « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. » Victor Hugo

    (et si je peux me permettre un avis esthétique, quelques espaces entre des paragraphes rendraient le tout encore plus agréable à lire ;) oui, c’est mon côté maniaque qui parle ^^)

  2. Flannie dit :

    Avis esthétique bien reçu ;-)
    bonne fin de week-end, ma jolie !

  3. Poumok dit :

    Aaaah… c’est carrément mieux ! Merci !

  4. PCR dit :

    Très joli texte, mélancolique certes mais très joli. Moi qui ne boit que très rarement du café (dans une cafetière à piston oeuf corse !), tu me donnes envie d’y tremper un carré de chocolat !!!
    Continue à nous charmer de ta jolie plume…

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